SOUVIENS-TOI !
UNE HISTOIRE PERSONNELLE
Il y a toujours un commencement.
Je ne sais pas peindre.
Un grand-père (René-Marie Castaing), grand prix de Rome, que je n’ai pas connu. Un besoin, un jour, vers 25 ans, de peindre. Une évidence. A l’exception d’une dizaine de cours du soir aux Beaux-Arts avec mon ami François Mendras, je n’ai pas appris. Des débuts chaotiques, faits de tâtonnements, d’hésitations, d’erreurs. Des erreurs qui ont construit mon travail et le construisent chaque jour. Des erreurs importantes qui m’ont fait évoluer et m’ont enrichi. Cela fait 20 ans que je cherche.
Et depuis 2 ans, je peins pour raconter une histoire.
Le 11 mai 2011, a surgi un bruit effroyable qui a bouleversé ma vie. Mon univers a basculé…d’un coup à cause d’un acouphène. Jamais je n’avais imaginé qu’un bruit puisse modifier à ce point mon existence. Patiemment j’ai appris la résilience, pour ne pas sombrer.
2012, je résiste…
2013, je découvre un palliatif, éphémère, dangereux…je cours, à en perdre la raison.
2014, je cours encore…
2015, je cours à en perdre la vie. La course de trop…un ultratrail autour du Mont Blanc. L’urgence vitale. Une nuit mystique. La fin d’un cycle. Ne pouvant plus aller à l’atelier, je dessine chez moi sur des petits formats en utilisant pour la première fois de l’encre de Chine. Je découvre la magie du noir.
La transposition sur de grandes toiles, avec de l’huile, me plaît et m’ouvre des champs que je n’avais pas imaginés. Mais il faut que j’évacue, la souffrance, les dialyses, la peur du noir, la ligne rouge, la fin, l’après…
PEINDRE
La toile est là. Je me bats. J’ai peu de temps devant moi pour expurger ce que je ressens. Je peins vite. Le monde va vite. Tout doit surgir, d’un trait, d’une violence absolue.
Je combats la toile, je vais à l’essentiel.
Un temps compté, mesuré, rythmé…pas une minute de plus. Je m’arrête. Je regarde. Pendant cet intervalle, j’ai eu chaud, je suis en transe. C’est chamanique. Mon corps parle. Mon bras est le prolongement de mon cerveau, de mes envies, de mes certitudes, de mes doutes, de mes imperfections. Le monde est imparfait, je le retranscris. L’erreur peut se produire ; la raison peut ne pas l’emporter, la folie peut passer. Je sens des choses. Elles doivent être là, sur la toile.
Un temps de combat absolu. J’esquisse, j’efface, je reforme, je contourne, j’élimine le noir, laisse apparaître les blancs. Chiaroscuro. Ce que je préfère. Le clair-obscur. La profondeur de l’âme. Celle qui rend vivant. Pas de sentiments, de raison…l’âme. Que l’âme. Celle qui surpasse, survit, vagabonde. Celle qui rejaillit. Le blanc du pur, de la clarté, de la lumière. Le noir du vide, de la peur, des angoisses, du mal, du rien. Le mélange de l’âme ; de celui qui pense que vivre est une prouesse. Et le futur, un avenir.
Un temps de vide…de silence. Je ne l’entends plus, ou presque plus. Mon acouphène n’est plus, il se cache, se terre, le temps d’un instant. Trop de concentration, d’effort. Je peins à l’épuisement. J’en sors vidé.
Tant pis si l’on a l’impression que ce n’est pas fini ; j’aime cette imperfection. Le non-finito. Il permet de voir ce que l’on ne doit pas voir ; de sentir, ce qui est imperceptible ; de lâcher prise. La réalité n’est plus. C’est l’inconscient, le tréfonds qui est là, devant mes yeux. La magie, de la main et du cerveau, a opéré et laisse une trace qui m’apaise.